I. Je vous écris, sachez-le, ignorant trop comment j'ose enfreindre la loi qui m'a été dictée, petite fille, selon laquelle cela ne se fait pas de commencer une lettre par son je, mais dans la substance où je me trouve, ou plutôt me retrouve, fallait-il le préciser d'emblée, j'estime que l'état d'âme en alerte me l'autorise ici ; comme j'aimerais bien davantage désobéir, mais l'insubordination n'a jamais été une force chez moi, « chez moi » disons comme expression… quant aux forces… De toutes les manières, je ne me plaindrai pas, je n'irai pas jusque-là, vous allez voir. (Un temps) Du reste, je ne me suis jamais plainte, je ne le puis pas, et je vais vous dire pourquoi : je suis une plainte, moi-même, oui, une plainte qui dit son substantif, c'est tout ; et une plainte qui marche sur les crêtes. (Un temps) Or je ne me suis jamais habituée à être une plainte moi-même. (Un temps) Je ne me suis jamais faite non seulement à l'idée mais au fait pour ainsi dire accompli, « accompli » à prendre entre des pincettes s'il-vous-plaît, je ne m'y suis pas faite bien que je sois une plainte humaine depuis le commencement. (Un temps) Toute petite princesse que je fusse, l'enveloppe desséchée d'une libellule céruléenne sur le flux du ruisseau où courait cette eau aux cheveux verts, là-bas, bien à l'Est d'ici, voguant à l'envers sur le cresson bleu, m'arrachait, la pauvrette petite bête, déjà… sans… souffle… voyez-vous cela ?… en pleine lumière qui plus est… (Un franc soupir, puis un temps) Du reste, dans l'ordre des odonates, les libelles et autres Demoiselles respirent-elles elles aussi… ? … Les insectes ailés comportent-ils des branchies… ? (Un silence) L'humanité… non, pas l'humanité, pas l'humanité toute entière, mais disons un ou deux juges, ou thérapeutes, auraient pu me porter non pas au pilori mais sur une estrade de la place publique et m'exhiber comme spécimen de plainte vivante. Cela aurait prouvé quelque chose, je trouve. (Un temps)Mais je n'aurais jamais supporté la foire humaine de ce côté-là des planches, et je serais morte de trouille, cela ne fait aucun doute… (Un temps)Non, avant de mourir de ce qui n'aurait été que de la pusillanimité somme toute naturelle, j'aurais sans nul doute cette fois-ci succombé à la honte, oui. (Un temps) De toutes les manières, la veille de mon exposition publique, je me serais enfuie prestissimo et cachée dans les bois où j'aurais expiré à bout de souffle de trembler comme une feuille saturée ; saturée de notes qui jamais ne furent jouées, comme de mots énoncés, ni même adressées (et pour cause…), et qui, du fait même de leur inexécution, comme des mots leur imprononciation, ne sont plus ni des notes ni des mots mais des êtres subtils et malfaisants, des démons ondulants qui savent se faire loger comme des irremplaçables obsessions mentales dans la supra dite substance, je me suis renseignée voyez-vous… J'ai le corail habité. (Un temps) Ainsi serait-ce cela, la fin d'une plainte qui ne joue pas, qui ne parle pas, qui jamais n'a ni joué ni parlé, pas même gémi un petit cri de souris, non, rien, jamais, jamais elle n'a émis, mais qui vit ; une plainte qui vit, et qui meurt dans les bois recouvert par les feuilles. (Un silence) Je veux dire que… la vie se plaint à travers moi et elle le fait sans doute par d'autres que moi, mais je ne les entends pas correctement, bien que je les lise distinctement, ces voix, et que je les entende depuis près de trente-cinq ans, 35 au bas mot, et ce, malgré le fait irréfragable semble-t-il, et donc désespérant, que la liste s'allonge à chaque génération davantage, dans le catalogue des livres noirs comme des fours… Je ne les entends pas de front, ces plaintes, parce que je sais… moi… (Un temps) Je sais que je les entends ! … Et je n'en puis sortir… (Soutenu, presque d'une traite) C'est moi qui les rumine, les psalmodie, c'est moi qui du dedans les broge, tant et si mal qu'elles en deviennent mes propres caries tombées en bouche que je mâchonne comme les osselets d'une litanie, que leurs élégies hurlent en silence et tournoient comme de sourds volatiles sous ma voûte ombragée, mes jérémiades ailées qui ressassées escortent ce vieux serpent ondulatoire qui replonge à bâbord pour jaillir à tribord me sauter et m'enserrer la gorge, et tous ces affluents animent le courant douloureux et tremblant qui me traverse l'esprit de bas en haut, sans l'ombre d'un piano ou d'une réponse sur la plage je le vois. (Un silence, puis murmuré à elle-même) Et puis à qui se plaindre… ? Un long silence
II. Ignorez-vous que j'aurais préféré vous envoyer une carte postale ? … Une une carte sage comme une image, comme l'on dit, mais signée, attention… Or, c'est un projet irrecevable à la racine. Primo, ne s'envoie pas de carte postale à un inconnu, cela s'est vérifié ; secundo, mais d'un simple degré supplémentaire, ne s'envoie des cartes postales qu'aux êtres familiers, ni aux empereurs ni aux amants fous, par exemple ; tertio, une carte postale est une image et une image est une image de quelque chose or le quelque-chose en question ne l'aurait pas mérité ; quarto, le quelque-chose en question est tout sauf un puits de sagesse ; quinto, c'est dommageable pour moi mais c'est ainsi fâcheux en ce qu'étant donné la surface somme toute réduite des cartes postales, celles-ci intiment à la concision ce qui est louable en ce monde. Bref, encore une occasion de tenir sa langue de pendue comme perdue. (Un silence, puis à elle -même) (À qui aurais-je envoyé une carte postale de toutes les manières ?) (Un temps) Mais tout de même, une carte postale de l'océan, que je viens voir deux à trois fois par an, j'aurais pu essayer d'en envoyer une, une ou deux, voire davantage, pour marquer le coup et lui clore le bec dans le gel d'une photographie, pourquoi pas… ? (Un temps) L'océan, j'y retourne, malgrémoi,voyez-vous, mais j'y reviens à chaque fois. (Un temps) Pourquoi. … Pourquoi ? me réclameriez-vous si vous vous donniez la peine de commencer mon interrogatoire indispensable parvenu à ce tour d'écrou, n'est-ce pas ? Car vous n'auriez pas tort d'exiger des aveux sur-le-champ. — Donc, j'y retourne, à l'océan, entendez-moi bien, histoire de m'affronter ; bien que je perde la partie ou le Nord c'est idem à chaque fois, je viens m'éprouver à ce titan rongeur, non pour le défier bien sûr, mais m'exposer à cette saleté vénéneuse, lui exposer ma petite taille grise sur son rebord de sel noir, oui, c'est bien cela : prendre l'exacte mesure de ma constante petitesse deux à trois fois par an devant l'océan, et la constance de mon opiniâtreté à m'y mesurer. (Un temps) Voilà pourquoi j'aurais préféré vous envoyer une carte postale de l'océan, c'est lui seul l'occasion. … De vous donner des nouvelles de sa démesure en regard de mes mensurations. (Un temps) Pourquoi ne vous ai-je pas posté une image en technicolor de cet horizon malveillant, celui qui fut le mien autrefois, vingt-sept années durant, je crois, et, surtout, pourquoi n'ai-je rien posté ? -- Je ne sais plus. (Un temps) L'océan, lui, je ne l'ai pas oublié parce que je ne l'ai jamais digéré, dans le fond, non, et pour cause : un océan m'engloutit de l'intérieur, vous savez, son maelström m'absorbe, la bonde ouverte dans le ventre avale avale, mais j'exagère, mais avale quoi ?! (Un temps) Une fois je me suis dit que ça avalait l'avalement… Comme je suis sotte parfois… (Un silence) Croyez-vous que j'aurais battu le vent, ce vent-là ?!… Qu'il aurait été de mon ressort, à moi, de battre ce vent acide ?!… Doux Jésus, vous plaisantez… (Un temps) Auriez-vous eu peur à ma place ?! De ce qui est là au cœur du ventre qui remonte aux amygdales et qui n'existe pas… (Un temps) Je n'ai même pas ce qui serait un loisir, je vous le promets : pas même le loisir de le redouter… C'est dire… (Un silence) Certes, je vous aurais bien envoyé une image de ma douleur mais elle ne serait plus fidèle à l'originale aujourd'hui, je crois, à observer ces flots, là, devant nous. (Un temps)La mer est salée comme une addition de peines, c'est vrai. La mer n'apaise pas, elle m'est acrimonieuse, c'est vrai. Mais la mer ne représente rien, elle ne ressemble à rien et elle se fiche de moi, de vous, de nous, ça c'est avéré. Donc, la mer ne peut vous fournir une image de moi à l'heure fortuite alarmée. (Un temps) Avec sonate en la mineur ou pas, je précise. (Un temps) Bien que la mer ne remonte la pente que pour mieux redescendre illico vers le fond du fond… (Un temps) Ce qu'il me fallait démonter. (Un silence) Et après vingt-huit années, oui c'est bien cela, vingt-huit années, vous rendez-vous compte ? … passées à me corroder sur son bord, j'ai fini par le quitter, l'océan… (Un temps) Ou plutôt, pour être tout-à-fait précise, un poil rancunière et avant d'endosser la toge du sycophante privé, on a fini par nous séparer, l'océan et moi. On… on a souhaité, on a estimé souhaitable, oui, plutôt qu'au bord de la soupe primitive je vive au milieu d'une campagne grasse tissée d'innombrables oiseaux aux chants délicats, sur une vaste plaine verte et jaune toute fleurie de taches rouges et bleues, dans les terres, loin du gouffre, vous voyez ça d'ici, l'ennui central… (Un temps) Et pas même en Bretagne !… (Un temps) Mais c'était trop tard, et ça on… on ne l'a pas soupçonné ; car la mer n'allait pas me quitter comme ça, oh non, pensez-vous. Enfin pas la mer au pied de la lettre mais l'état de la mer en moi, si vous voulez. Je veux dire son sel corrosif s'était déjà de manière irréversible mêlé à mon sang dans sa hauteur, je veux dire en sa circulation supérieure. (Un temps) Si je reviens la voir, c'est mon sang qui m'y attire, pas le cœur : le flux aimanté du sang empoisonné par cette mer devant laquelle j'ai tant peiné. (Un temps, puis pouffant) J'ai l'océan dans le sang ! … C'est drôle tout de même pour une fille plutôt vernale éclose dans les champs aux mille-fleurs qui ourlent les derniers coteaux gras de la Transylvanie !… (Un temps)Du reste, j'ai entendu à la radio, j'écoute beaucoup la radio, que l'eau de mer était le fluide le plus proche, par sa composition chimique s'entend… j'écoute beaucoup la radio surtout depuis que je n'ai… depuis que l'on m'a séparé de mon piano par la même occasion que l'océan, vous saisissez ? … à la radio ils disaient que c'était le jus le plus proche, l'eau de mer, donc, de notre sang, de notre sang à nous, les filles et les fils d'Ève et d'Adam ! Vous admettrez donc scientifiquement que je ne mens pas quand je vous dis que ce sont mes artères qui m'extirpent de la campagne plan-plan jusqu'à l'océan méchant deux voire trois fois par an, jusqu'ici. (Un temps) Et seule, s'il-vous-plaît. Seule ! Cette fois-ci toute seule, j'y tiens ! J'y reviens toujours seule ! Seule ! Vous entendez ?! SEU-LE !… (Douce) Parenthèse, permettez : (L'on doit me laisser m'échapper seule et de bonne grâce, deux ou trois fois par an de la maison de campagne, parce que l'on a constaté mon retour à chaque fois très docile et rapide ; je ne peux me permettre, comprenez, de demeurer trop longtemps au bord de cette immensité d'influences infectes, voyez-vous : les nerfs lâcheraient, je capitule déjà…). (Un silence, puis poétique) L'eau de mer cette harpie / Qui sommeille et me coule, Berce des voiles de houle / Exhorte les plus hardis. (Un silence)Regardez-moi cette ordure qui sous cape vient à nous sourire de ses vaguelettes claires comme le jour que l'on dirait de l'eau bénite, mais elle… parfois si malicieusement, regardez, comme elle nous sourit à faux la salope ! (Un temps)Mais je ne me fais plus avoir, jamais plus, non ! : elle aura beau sourire, la mer ne déclenchera aucune arabesque de mes lèvres asséchées, aucun éclair dans mes prunelles troubles, aucun espoir du cœur ponce, même la plus ténue des flammèches d'une quelconque espérance, c'est non !… Que la mer reste au diable ! Au diable comme tout le tremblement, oui ! … (À elle-même) Mais quand on dit « tout » on exagère à l'évidence. Ergo : moderato, ma petite : moderato. (Un temps) C'est tout de même pas un hasard si le triangle des Bermudes est dans l'eau. (Un silence, puis à elle-même)Ou alors une mer… très intérieure… une mer en vase clos, si c'est possible, ça. (Un silence)Comprenez-moi, je recherche non pas la paix, (Énervée) et puis quoi encore ?! il ne faudrait pas abuser quand même ! Et pourquoi pas un sanatorium à Kreuzligen ?! oh… (Calme) mais une sorte de sortie, si vous voulez, de la coquille, un suspens au moins, de la noix supérieure au corail infecté, une aire de repos… (Un temps) Oui tout simplement : un air de repos. (Un temps) Au mieux un lac, si vous pouvez, une espèce de lac de constance… Oui. (Un temps) Ah la constance… ! si haute aspiration… ! la constance… (Un soupir puis un temps) Mais comment commencer à solliciter une constance quand mon sang est aspiré ici ?!… Reconnaissez la pleine et saine raison de ma déréliction, n'est-ce pas ? (Un temps) Au lieu de me mettre rationnellement à rechercher un lac qui grossit à mesure que je viens d'inventer à mesure qu'il m'échappe à mesure qu'il me manque et inversement, je ne suis fichue que de revenir devant cet océan baveux, cet abysse de malade dont je connais par cœur les vicissitudes qu'il m'infligera longtemps après cette entrevue malsaine !… Quelle aigre solitude, Seigneur… ! (Un temps) Alors que c'est vous ! que je devrais chercher en premier je veux dire en urgence maintenant… je m'en aperçois, ici, devant la mer… Et c'est là que je vous trouverais, selon moi, au bord du lac. (Un temps, puis à elle-même) Tout le monde est en recherche, avouons-le, tous recherchons, n'est-ce pas ? … Si nous ne recherchions pas, que ferions-nous sur la côte terrestre… ? (Un temps, puis perdue) Sais-je ce que je recherche ? -- Je ne sais pas ce que je recherche… (Un temps) Serait-ce vous, vraiment, monsieur ? Ou le lac qui va avec ? (Un temps) Serait-il possible ? … Serait-ce simplement une possibilité que ce puisse être vous que j'attends, monsieur, seulement vous ? (Un temps, puis murmuré à elle-même) Rien qu'un homme… ?! (Un temps) Et qu'importe le lac… ?! (Un silence) Mais en vous je recherche… le lac, alors, n'est-ce pas… ? C'est une façon de parler, c'est une figure de style tout ça, non ? (Un temps) Vous, Mon Sieur, et le lac, c'est tout comme, n'est-ce pas ? métaphoriquement parlant… (Un temps) Sieur Lac je vous attends ! Et avec constance par-dessus le marché ! Ça c'est le moins que je puisse vous promettre. Vous pouvez compter sur moi, Lancelot !… (Un temps, puis réflexive)Mais attendre n'est pas rechercher… ! (Un temps) Seuls les anges s'attendent… (Petit rire puis Un temps)J'attends ce qui ne s'attend pas. (Un temps) J'attends ce que je devrais chercher férocement ! (Un silence, puis d'une traite) Mais dans cette attente interminable rechercherais-je peut-être ce dont il n'y a pas d'image comme il n'existe pas un seul diagnostic ni verdict pour le nombre inimaginable de moments qui sont pourtant l'essentiel de notre inquiétude pour ne pas vous avouer ma hantise satanée psychose de merde ! … (Murmuré, à elle-même) Donc, pas de carte postale pour ça non plus. Un long silence
III. Jamais je n'aurais dû vous parler sur ce ton. (Un temps) Jamais je n'aurais dû paraître à vous par la face nord. (Un temps) Jamais je n'aurais dû dérober la parole. (Un temps) Vous êtes parti sans doute, loin de cette lettre, à cette heure… (Un temps) Vous avez bien raison. (Un temps) Vous avez bien fait. (Un temps) Vous aviez mieux à faire… (Un temps) Enfin ça, ce n'est pas attesté non plus… (Un temps) Oui, non, vous auriez tort, d'être parti. (Un temps) Le minimum serait de rester jusqu'au bout. (Un silence) Jamais, donc, je n'aurais dû avoir l'audace de croire, l'audace… qu'écris-je ? le toupet, l'outrecuidance oui ! de croire que mes inepties pourraient vous interpeller, un tant, soit peu… Jamais je n'aurais dû à vous m'adresser de cette manière honteusement intime, à vous surtout, plus qu'à nul autre, à vous ! à vous ! oui, à vous là ! qui êtes resté, finalement, fidèle. (Un temps) Merci. (Un silence) Pourquoi mes gros mots à la place d'un poème… ?! Pourquoi des grossièretés par-dessus la musique ?!… Mystère encore… J'en ai plus que par-dessus la tête, des mystères ! Si vous saviez… (Un silence, lasse) Un lac vous écrivais-je, oui, ce plat suspens, constance, je recherchais le Graal, un air de repos. J'avais oublié. (Un temps puis ironique) Le repos, rien de moins.…(Un temps)Ou plutôt j'attendais le Graal… (Un temps) Autant attendre un ange au péage de Saint Arnoult… ! (Un temps)Donc le tout pour le tout : Mon Graal de constance, le voici : Quitter ma coque habiter votre cœur. (Un temps) C'est dit. (Un temps) Me trouvez-vous insane ? (Mot anglais)Insane… ?! (Un temps) S'il-vous plaît.… (Un temps) Insatiable de rien, toujours faim. (Un temps) Habiter votre cœur et y dormir comme Belle au bois dormant. (Un temps) Ce n'est pas rien, c'est vrai, mais ce n'est pas la mer à boire non plus ! (Un temps)Je ne demande pas à décrocher la lune de son fichu mécanisme d'attraction… ! (Un temps) De toutes les manières, c'est ça ou rien ! Un air de repos arthurien en votre sein, c'est le tout sur le tout ! … Et ce n'est pas négociable. (Un temps, fragile) Ou alors morte au bois… (Un silence) Entre l'océan et le lac, entre la béatitude… fausse naturellement, entre l'enjouement passager, donc, et la démolition, vraie naturellement, donc entre l'éphémère enjouement et la démolition, entre le chagrin et le coma, oui, achevons dans la clarté : entre l'océan et le lac, entre l'euphorie du moment et la démolition, entre le chagrin et le coma, croyez-vous sincèrement qu'une lettre telle que celle-ci, celle ici même à vous destinée mon amour, puisse être la tierce issue ?… Franchement… Entre le chagrin et le coma ?!… Une lettre, la sortie de secours ?! (Étiré)— Non… ! (Un silence) Oh, je n'attendais rien, rien, de cette lettre, même si cette fois vous n'êtes pas un revenant. (Un temps) Ce n'est pas que vous me manquiez particulièrement aujourd'hui, non, puisque je vous aime… Je vous aime comme je vous ai depuis toujours aimé, aimé par-dessus tout, je vous aime depuis l'antiquité, par-delà les âges, croyez-moi. (Un temps) Par conséquent mon amour me survivra, naturellement, non pas déposé en cette lettre bien sûr, non, mais au-delà, au-delà… Morte, je vous aimerai. (Un temps) C'est vrai, je vous aime avant même d'être née, voyez-vous, et de cela, permettez, je puis à mon âge m'en confesser. (Dure) Comme il était temps de le professer à la façade de la Faculté de Médecine ! (Un temps) Depuis la toute première séparation, je vous attends.(Un temps) Depuis la toute première séparation, vous me manquez. (Un temps) Depuis le tout premier abandon humain. Depuis l'abandon originel vous êtes un prince pour moi. (Un temps)Aussi, je… (Un temps) Je vous mande un secours, Comme aux seigneurs anciens / Me sachant sans recours, Ne puis disputer rien. (Un temps) Affole-toi mon chéri. Il se fait tard. La marée monte.