Une figure de l'effroi.
Une voix se distingue. On doit faire attention à ce qu'elle nous dit. En peu de plans et beaucoup de mots, ce film nous fait part d'un regret. Un homme qui saute dans l'eau pieds devant se rend compte, trop tard, qu'il eût mieux fait de plonger mains et tête en avant. Ce n'est pas tout. Puisque c'est trop tard, il faut que l'auteur nous montre qu'il est toujours temps de remonter dans une image, de se souvenir, et d'en faire un film beau comme un songe qui tire sa clarté de l'éveil. Gourdien est un cinéaste du regret. Il dresse dans chacun de ses films un état de fait. Il ne dit pas, le monde est ce qu'il est, voilà comme je voudrais qu'il soit, mais plutôt, le monde est précisément comme je n'ai pas voulu qu'il soit, voilà comment et pourquoi. Gourdien se débat toujours avec le passé plutôt qu'avec un futur qui n'existe pas. Il laisse avancer sa caméra sur une photo comme le doigt sur la poussière d'un livre et il repose la poussière où il l'a trouvée parce qu'il ne veut rien déranger de ce qui est ou a été. Seulement, il faut encore qu'il en fasse un film et qu'il dise en quoi poussière et livre ne pouvaient s'arranger autrement. Ce qui est, ne doit pas se confondre avec ce qui eût été, mais rien n'empêche de les faire voisiner dans un même plan puisqu'il y a de l'image et su son, l'acte et la pensée. Il n'y a rien de mieux qu'une parole hésitante pour filer de biais comme le nageur lointain vers le sens précis d'un film qui, l'air de rien, étudie en passant le mouvement d'une chute intime et sa couleur. "Il a vu le bleu profond qui l'attendait". Description à la fois fantastique et drolatique parce qu'elle s'aventure dans la pensée de celui qui vit entre ciel et eau le temps d'une photo. Il est alors question d'un poisson dans l'eau (l'invisible) et d'oiseaux dans l'air (bien visibles mais inaccessibles, "ses bras ne sont pas des ailes"). Il est question des bleus (le ciel et la mer) qui ne se confondent pas. Pas plus que le sauteur ne peut se confondre avec le plongeur, et, cela dit sans vouloir déflorer la fin. Car il y a une image finale au film, comme un point asséné à la fin d'une longue phrase. On ne reviendra pas en arrière. L'auteur a choisi son camp, celui de ceux qui se débattent avec leurs souvenirs pour expliquer en quoi la vie leur est autre et les sépare à jamais de l'autre. Il ne trompe personne en montrant le modèle du saut qu'il eût voulu faire. La vie de garçon qu'il aurait pu mener. Il ne sera jamais l'un d'eux mais combien de regrets et comment faire lorsqu'on est coupé en deux ?
C-L / Uccassaim-Goa / Février 2013
Une voix se distingue. On doit faire attention à ce qu'elle nous dit. En peu de plans et beaucoup de mots, ce film nous fait part d'un regret. Un homme qui saute dans l'eau pieds devant se rend compte, trop tard, qu'il eût mieux fait de plonger mains et tête en avant. Ce n'est pas tout. Puisque c'est trop tard, il faut que l'auteur nous montre qu'il est toujours temps de remonter dans une image, de se souvenir, et d'en faire un film beau comme un songe qui tire sa clarté de l'éveil. Gourdien est un cinéaste du regret. Il dresse dans chacun de ses films un état de fait. Il ne dit pas, le monde est ce qu'il est, voilà comme je voudrais qu'il soit, mais plutôt, le monde est précisément comme je n'ai pas voulu qu'il soit, voilà comment et pourquoi. Gourdien se débat toujours avec le passé plutôt qu'avec un futur qui n'existe pas. Il laisse avancer sa caméra sur une photo comme le doigt sur la poussière d'un livre et il repose la poussière où il l'a trouvée parce qu'il ne veut rien déranger de ce qui est ou a été. Seulement, il faut encore qu'il en fasse un film et qu'il dise en quoi poussière et livre ne pouvaient s'arranger autrement. Ce qui est, ne doit pas se confondre avec ce qui eût été, mais rien n'empêche de les faire voisiner dans un même plan puisqu'il y a de l'image et su son, l'acte et la pensée. Il n'y a rien de mieux qu'une parole hésitante pour filer de biais comme le nageur lointain vers le sens précis d'un film qui, l'air de rien, étudie en passant le mouvement d'une chute intime et sa couleur. "Il a vu le bleu profond qui l'attendait". Description à la fois fantastique et drolatique parce qu'elle s'aventure dans la pensée de celui qui vit entre ciel et eau le temps d'une photo. Il est alors question d'un poisson dans l'eau (l'invisible) et d'oiseaux dans l'air (bien visibles mais inaccessibles, "ses bras ne sont pas des ailes"). Il est question des bleus (le ciel et la mer) qui ne se confondent pas. Pas plus que le sauteur ne peut se confondre avec le plongeur, et, cela dit sans vouloir déflorer la fin. Car il y a une image finale au film, comme un point asséné à la fin d'une longue phrase. On ne reviendra pas en arrière. L'auteur a choisi son camp, celui de ceux qui se débattent avec leurs souvenirs pour expliquer en quoi la vie leur est autre et les sépare à jamais de l'autre. Il ne trompe personne en montrant le modèle du saut qu'il eût voulu faire. La vie de garçon qu'il aurait pu mener. Il ne sera jamais l'un d'eux mais combien de regrets et comment faire lorsqu'on est coupé en deux ?
C-L / Uccassaim-Goa / Février 2013